L'INQUISITION

Au Musée de l’Inquisition à Lima, j’ai vu les cachots, des instruments de torture, des mots graves sur les murs, et des comptes-rendus d’aveux et de procès. Je ne me souviens pas d’avoir vu des visages. Pour l’inquisiteur, la victime n’a pas de visage. Elle fait partie d’une machine. La torture la broie, la réduit au silence et efface son regard. Son cri persiste, trouve un écho dans nos peurs et notre refus. Car l’Inquisition n’a pas d’age. Elle traverse les siècles et les continents, renouvelle ses sévices, usant d’instruments et de méthodes toujours les mêmes. L’inquisiteur persiste. Il n’a pas de visage. Il n’a pas de voix. Il n’a pas de regard.. Il est la, sans mémoire,. Efficace et déjà mort.

Seule la victime, ligotée, enchaînée, humiliée, perce de3 son regard les siècles et les continents, affirmant, dans le silence, son innocence. Mémoire et rappel, il survit au persécuteur et les mots d’ordre de l’inquisiteur, toujours inaudibles mais tout aussi meurtriers, ne nous parviennent qu’à travers ce regard.

André Elbaz a du restituer a la victime son visage. Le crocas et le san benito ne marquent d’infamie que ceux qui l’imposent. Il n’y a pas de résignation dans les yeux de ces hommes destines au bûcher. Juifs et peut-être musulmans, ils portent, suprême dignité, la défroque humiliante, et leur regard est défi, tristesse, refus, mais surtout tendresse et douceur. Si, face à la mort, les certitudes semblent s’effondrer, la compassion de la victime pour la bête est son ultime arme. Elle est sa manière d’avoir confiance dans ses choix et dans sa voie.

Dans les dessins d’André Elbaz, l’inquisiteur aveugle pèse de sa brutalité. Il persiste, accompagne la victime, traverse avec lui le temps et l’espace,. Les hommes qui sont brûlés nous rappellent a l’ordre, nous réveillent. Il n’y a pas de confort possible tant que l’inquisiteur demeure. Et l’Inquisiteur est toujours la, sous d’autres formes, affuble d’autres défroques, à l’affût des victimes, des visages à effacer et des voix a réduire au silence.
              
             Naim Kattan