L'idée des Urnes est tombée avec le troisième millénaire, dont l'avènement à été salué par une prosternation tonitruante de deux tours à New York, symboles de la puissance financière et économique des Etats-Unies. La destruction des Twin Towers, le 11 septembre 2001, est à l'origine des urnes d'Andre Elbaz.  Une fois encore, l'artiste est confronté à la nécessité de faire face au réel par l'oeuvre.  Ce face à face se déroule selon un mode inhabituel dans le travail d'André Elbaz.  L'artiste réagit à un événement à la fois assourdissant, spectaculaire et inédit en orientant son art vers des perspectives inexplorées.  Il découpe ses toiles et ses papiers en des morceaux très fins et les place dans des récipients transparents.

Qu'on se représente un artiste, attaché depuis des années à la peinture et au dessin, si familier des surfaces planes qu'il les fabrique lui-même, et qui - brutalement - donne un caractère tridimensionnel à son oeuvre.  Il abandonne ses pinceaux pour aligner des objets.  De peintre, il devient installationniste.  Les 3D installent Andre Elbaz dans ce qu'on appelle l'art contemporain.

La contemporanéité des urnes d'Elbaz n'est pas affaire de mode. L'artiste ne sacrifie pas à l'air du temps. Le sacrifice est autrement coûteux, très coûteux.   Rarement le passage d'une forme à une autre aura nécessité une initiation aussi douloureuse. Rarement l'art nouveau d'un artiste aura reposé sur une démolition aussi franche de son expression antérieure.

Mais  André Elbaz ne détruit ses dessins et peintures que pour leur donner un nouveau souffle.  Il ne les déchire que pour mieux fonder une oeuvre nouvelle.  Il élimine des années de travail pour les faire revivre dans une seule oeuvre.   L'oeuvre de sa vie peut-être.  Cette oeuvre n'est pas lugubre.  Elle n'est pas sinistre.  Les urnes d'André Elbaz  ne sentent pas la mort.  Leur miracle, c'est qu'elles dispensent une grande émotion au spectateur alors même qu'elles reposent sur une mise à mort.  Cette émotion ne se rapporte pas à la pitié, mais à l'esthétique.  Les urnes d'André Elbaz sont si criantes de présence qu'on les dirait investies de la vie de chacune des oeuvres découpées.  Elles constituent l'une des oeuvres plastiques majeures de ce début de millénaire.  Et n'en déplaise à André Elbaz, il n'exécute ses encres, dessins et peintures que pour mieux les refondre dans le grand oeuvre.

 

                                                Aziz Daki

Commissaire de la retrospective organisée par l'institut Français
 de Casablanca dans quatre villes du Maroc.